L’ours polaire

L'ours polaire nous interroge © Olivier Paris

Lettre à l’ours polaire

 

Cher Ami,

Ce n’est qu’après un quart de siècle d’observations et de réflexions que je me permets de vous écrire directement, comme à un ami, à un parent proche. Nos rencontres successives, dans votre vaste domaine qu’est l’Arctique, ont suscité chez moi plus de questions que de réponses. Interrogations légitimes sur votre mode de vie, votre adaptation, mais également sur l’espèce humaine et la perception qu’Homo sapiens pouvait bien avoir d’Ursus maritimus.

Mais commençons par le commencement. Les généticiens savent maintenant que votre plus proche cousin est l’Ours brun, et que votre espèce est le résultat d’une évolution aussi rapide (quelques dizaines de milliers d’années) que réussie, au regard de votre aptitude à survivre sur la banquise. Si la science des hommes est capable de décrire votre métabolisme, mesurer votre vitesse de déplacement, elle s’interroge encore sur vos méthodes d’orientation dans cet univers sans repère qu’est la banquise, la raison des voyages erratiques de certains de vos congénères, elle échoue à cerner votre personnalité, tantôt bourrue, parfois féroce, souvent indifférente… L’Homme est incrédule face à vos performances d’athlète complet, il peine à remonter le temps pour ordonner les étapes de l’évolution qui a abouti à votre espèce à partir de votre cousin l’Ours brun.

Avec votre disparition annoncée, de nombreux humains qui ne vous connaissent que de nom s’inquiètent comme au chevet d’un parent éloigné. Le grand oncle est au plus mal : quand  va-t-il rendre l’âme, que va-t-il nous laisser ?  Ils savent que l’héritage est plutôt maigre, car les neveux ont morcelé le patrimoine et l’immense territoire immaculé se réduit comme peau de chagrin. Ils s’inquiètent même de la faillite que pourrait annoncer votre disparition. Déchéance de leur modèle de société, incapacité à anticiper une stratégie pérenne… La tâche semble tellement titanesque que bon nombre ont capitulé, découragés par le gouffre qui s’ouvre devant eux. Ils préfèrent accélérer encore et encore, comme pour atteindre le mur encore plus vite.  Alors, tenez bon ! Que votre espèce perdure aux confins de la banquise offrant encore quelques ressources. Et si vous veniez à disparaître, j’espère que votre sacrifice ne sera pas vain et qu’il retentira comme un signal d’alarme dans la conscience des hommes : stop !

Cher Ami, recevez mes respectueuses salutations. Au plaisir de venir vous rencontrer prochainement.

Votre obligé, Rémy Marion.

PS – Ce modeste courrier m’a été inspiré par Romain Gary qui, en mars 1968, écrivit à l’éléphant.


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